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Mes p'tits billets... pas toujours doux !

Ce blog est dédié à mes rencontres, mes passions, et à ma si jolie ville, Albi, coeur d'Occitanie. Pour le plaisir du partage, de l'écriture et peut-être, le vôtre... celui de la lecture !

A demain peut-être.

Une nuit plus longue et douloureuse que les autres m'a invitée à réfléchir. Je subissais les choix des uns et des autres avec la même exacte soumission. J'en ai fait amèrement le constat, sans pouvoir expliquer pourquoi je ne me rebellais pas.

Mes grands-parents m'emmenaient presque chaque jour au cimetière. Le lieu était magnifique, dans une alcôve de verdure tout près de la rivière. Les tombes s'y lovaient joliment à l'abris d'immenses pins parasols. Les allées se dessinaient sous des milliers de petits cailloux blancs, et de ça de là des bouquets et des gerbes ponctuaient gaiement l'ambiance monochrome. Sur certaines sépultures, des photos fanées des défunts rappelaient qu'ici, le passé régnait en maître. Un musée à ciel ouvert de raccourcis de vies :  un nom, un prénom et deux dates. J'y trouvais une forme d'apaisement. Le silence profond, la lumière douce, et le crissement des cailloux sous mes pas. Rien d'autre. Mon grand-père n'entrait pas, il m'attendait au portail. Dès que j'avais passé l'allée de la grande croix, j'apercevais la tombe de mon père sur la gauche. Je pouvais m'assoir sur le granit glacé pour lui parler doucement. Je chuchotais pour pas que les autres morts m'entendent.  Je lui disais qu'il me manquait, que je ne savais pas où il était, et je lui confiais mes secrets. Je ne voulais pas faire trop attendre mon grand-père, alors doucement je me levais et je prenais congé, en lui disant… A demain peut-être.

Ce soir-là, avant de partir, j'ai livré à papa mon projet : je prévoyais de fuguer dans les jours à venir. Je partirai durant la nuit, je marcherai jusqu'à la grande route. Et là, je ferai du stop et je partirai assez loin pour que personne ne me retrouve. Je ne sais pas si papa s'est retourné dans sa tombe. Mais j'y ai pensé.

Mes grands-parents se donnaient pourtant du mal pour s'occuper de moi.  Grand-mère cuisinait des petits plats, grand-père m'amenait à mes cours de musique chaque mercredi… Mais malgré tous leurs efforts, il manquait l'essentiel. Je ne ressentais aucun amour, aucune affection, aucune douceur, aucune empathie. Je ne le leur ai jamais dit et ils ne m'ont jamais reparlé de cet épisode commun à nos vies.

J'ai tout prévu. Tout imaginé pour que mon plan se déroule sans accroc. Après quelques semaines, en pleine nuit et sur la pointe des pieds, j'ai quitté la maison des mes grands-parents. Mon baluchon ne contenait pas grand chose, et avec le recul, je ne serais pas allée bien loin… du moins pas longtemps. Le sentiment de liberté prévalait cette nuit-là sur ma culpabilité. J'ai respiré à pleins poumons sur le chemin… C'était délicieux, enivrant, tellement réjouissant ! L'enthousiasme fut de courte durée. J'ai commencé à trouver le chemin très long, puis on surgit quelques angoisses, puis enfin, le souvenir du visage de maman… En partant, je l'abandonnais elle aussi. J'ai failli retourner sur mes pas. J'ai hésité. Mais V me poussait, me disait : " vas-y, il y aura quelque chose pour toi au bout du chemin ! "

J'ai écouté V et poursuivit ma route. Au loin, au croisement, j'apercevais la maison de mon oncle et ma tante. Elle était la sœur de mon père. Lui, bougon, renfrogné était garagiste. Ils n'avaient pas d'enfant, ils semblaient vivre heureux dans leur binôme. Je ne pouvais pas déranger cet ordre. Quand je suis arrivée au carrefour, la lumière de la cuisine de leur maison s'est allumée. J'ai vu, dans les interstices des volets, une lueur d'espoir. V m'a confirmé que j'avais raison, je suis allée sonner à leur porte. 

C'est mon oncle qui est venu m'ouvrir. Il m'a regardé gentiment, a esquissé un sourire et m'a dit : " tu en as mis du temps ! ". Il a pris mon sac, est allé réveiller ma tante. Elle m'a rassurée immédiatement. Elle irait dès le lever du jour annoncer à mes grands-parents que j'étais chez eux pour ne pas qu'ils s'inquiètent. Elle leur expliquerait… Ils comprendraient. 

Pour la première fois depuis longtemps, la nuit fut douce. A mon réveil, la maison était vide. Sur la table de la cuisine, un petit mot de ma tatie. Elle était partie chez mes grands-parents avant d'aller travailler. Mon oncle était dans son garage. Je devais prendre mon petit déjeuner, car il fallait que je me remplume. Une brioche me regardait, dorée et potelée, prête à se faire croquer. J'ai mordu dans la moelleuse pâte beurrée avec bonheur. Je me suis lavée et habillée à la hâte pour rejoindre mon oncle. Le chat m'a suivie, collé-serré, ronronnant à volo pour me souhaiter la bienvenue. J'ai débarqué dans l'univers de mon oncle. Le garage abritait tout un tas de voitures, certaines magnifiquement carrossées, d'autres plus abîmées, mais toutes bien alignées. Dans le fond, il y en avait une bâchée. Elle m'intriguait. J'allais soulever la toile quand mon oncle a hurlé : " Non. Ne touche à rien !!! ". Ses traits étaient tendus. Sa blancheur soudaine m'a alertée. J'ai compris de quoi il s'agissait. Sous la bâche, c'était la voiture accidentée. Je m'en suis éloignée sous son regard insistant. J'ai avancé lentement vers lui. Il m'a tendu maladroitement sa joue mal rasée que j'ai affectueusement embrassée. J'avais eu peur. Très peur de découvrir l'horreur. Il ne m'a rien dit, et comme d'habitude, je n'ai rien demandé. Un accord tacite venait d'être signé : jamais je ne devais regarder sous cette bâche. Jamais !

Il m'a fait un peu de place sur son bureau, dans un sas étriqué, entre la machine à café et les facturiers. Au mur des réclames pour les huiles Motul ou Valéo, des emblèmes Citroën, des photos d'Alpine Renault. Des odeurs de moteur, d'essence, de cambouis, de ferraille se partageaient l'atmosphère. Je suis partie à la maison chercher mon cartable. Je suis revenue aussitôt en courant, chantonnant. Je me suis installée dans mon nouvel espace, près de lui, et j'ai fait mes devoirs. De temps en temps, je levais la tête pour voir s'il était toujours là. Il disparaissait sous les voitures comme par enchantement, accédant par une petite échelle à la fosse. Je l'entendais pester, maugréer, et conclure ses phrases par des gros mots incroyables ! Il remontait au bout d'un certain temps, le minois noirci, les mains pleines de cambouis et venait près de moi, boire un petit café. Il prétextait ne pas pouvoir m'aider dans mes devoirs, car il n'était pas allé très longtemps à l'école. Pourtant, dans les alentours, il était connu et reconnu comme un dieseliste hors pair. Les belles mécaniques, c'était pour lui ! Dans son art, il excellait. Pour le reste, c'est ma tante qui gérait. Lui comptait ses heures, elle les facturait. J'avais fini mes devoirs, j'ai tourné un peu dans le garage. Une jolie petite voiture bleue avait retenue mon attention. Une voiture de sport… " Elle te plaît celle-ci ? " Oui, beaucoup. " Si tu veux, toute à l'heure on ira faire un tour. "  C'est comme ça que notre histoire a commencé, entre une brioche et une alpine, une crainte et de la confiance, une maladresse et une si belle affection. 

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