Ce blog est dédié à mes rencontres, mes passions, et à ma si jolie ville, Albi, coeur d'Occitanie. Pour le plaisir du partage, de l'écriture et peut-être, le vôtre... celui de la lecture !
12 Avril 2020
Maman préparait le repas et me demanda ce que je faisais avec lui, de quoi pouvions-nous bien parler. Je l'en informa, taisant mon plan, lui précisant juste qu'en aucun cas elle ne devait essayer de défendre ma cause.
Je savais bien que maman ne pouvait rien pour moi et que son insistance aurait pu au contraire, aggraver mon cas. Réduite au silence et soulagée de l'être, elle me laissait manœuvrer. Nous avons dîné tous ensemble ce soir là. Mon frère était gai, il nous faisait partager son enthousiasme pour ses études en sciences médico-sociales et je le trouvais bien à sa place dans ce milieu. Lui qui avait à cœur d'aider les autres, aurait de quoi faire. Mon grand-père abonda dans mon sens, maman acquiesça, et mon frère remporta les lauriers de la gloire en annonçant quelques brillantes notes. Un souffle nouveau, frais et léger s'était installé autour de la table. Maman crut bon de rajouter que " Papa aurait été content"... Personne ne releva, question d'habitude. Je suis allée me coucher le cœur léger, espérant un nouvelle harmonie, plus sereine et apaisée, sans papa, certes, mais avec nous tous, vivants et espérant.
La nuit fût aussi longue et belle que mon petit-déjeuner rapide et frugal ! J'avais si bien dormi, fait de si beaux rêves, que je n'avais pas pu m'en extirper à tant afin d'éviter un retard au collège. J'avais horreur de ça, interrompre le professeur en plein cours, le regard amusé et moqueur des copains et copines, chuchotant à mon entrée des blagues sur ma "coiffure à l'oreiller", mon manteau grand'ouvert, mes chaussures mal lacées… La journée partait mal, mais qu'importe, elle n'aurait pas raison de la bonne humeur que mes rêves avaient laissé à mon esprit. D'ailleurs, durant toute la journée, m'étais-je vraiment réveillée ?
Le soir-même, il fallait poursuivre le plan. V et moi entrions en phase 3. La plus délicate pour moi, puisqu'elle me demandait encore plus de résilience envers mon grand-père. Dans une semaine, je devais rendre mon inscription au professeur d'allemand. Il me restait 7 jours pour convaincre, 7 jours pour gagner ce pari fou. Si je gagnais, je partais en Allemagne, et donc, elle viendrait en France ! J'imaginais le voyage en bus avec mes amis, la liberté, le dépaysement… Cela me donnait la force d'y croire et de me battre. Il fallait continuer ! Je devais à présent entrer un peu plus dans le vif du sujet, et familiariser mon grand-père à l'idée que peut-être, dans quelques mois, sous son toit pour quelques jours, vivrait une jeune fille allemande, de bonne famille, bien élevée et de surcroît, francophile. Durant le dîner, j'exhibais donc à dessein une lettre reçue la veille de ma correspondante. Dans ce savant courrier, que je traduisais avec délectation, elle me disait sa joie de me recevoir et sa hâte de rencontrer les miens. J'ajoutais ça et là quelques détails qui ne manqueraient pas d'étonner mon grand-père. Je peignais son portrait de telle manière qu'il ne pouvait pas me dire que c'était une sale boche comme les autres. Je glissais de manière trompeuse une petite phrase de ma propre invention, qui ne le laissa pas indifférent. " Ah, tiens, Grand-Père, cela s'adresse un peu à toi, elle s'étonne presque que tu aies le courage de l'accueillir. Elle dit qu'elle a bien conscience de l'énorme effort que cela doit représenter pour toi, et déjà elle tient à t'en remercier. " Il sursauta, et me dis aussitôt : " Et bien tu pourras lui répondre que cela est en effet un calvaire que je m'apprête à vivre. L'ultime punition que la vie m'inflige. "
J'ai enchaîné aussitôt, lui expliquant que je comprenais tout à fait sa douleur, mais que cet acte, qu'il s'apprêtait à faire, et qui visiblement lui coûtait au plus haut des points, lui donnait un statut particulier, bien plus grand et noble que celui auquel il n'avait pas eu droit à son retour de la guerre. Il donnait ce faisant une grande leçon aux générations montantes, désormais, il devenait un héro de l'après-guerre en acceptant de partager un moment de paix avec son ennemi. J'ai senti que j'avais touché la corde sensible. Il n'avait pas abdiqué, je l'avais laissé porter sa fierté en étendard; je l'avais juste encouragé à devenir ce héro-là, je lui en avais offert l'opportunité et il avait su la saisir. C'est dans ce contexte incroyable, que j'ai décroché ma première victoire.